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IntroductionLes affaires aux États-Unis (P.Jones et M.Lewinsky) et en France (Marchés publics) qui ont secoué les mandats respectifs des présidents B.Clinton et J.Chirac ont relancé le débat sur la question des immunités, en général, et celles accordées aux Chefs d’État, spécialement. Si les affaires américaines ont été d’un intérêt plutôt médiatique que juridique, celle en France a donné lieu à un vrai débat juridique relatif à l’interprétation de l’article 68 de la constitution. En effet, l’immunité du chef de l’État en France a mis à mal le principe juridique de l’égalité des citoyens devant la loi et par-là même devant la justice. La constitution tunisienne prévoit dans son article 6 ce principe d’égalité et n’accorde au Chef de l’État aucune immunité. D’ailleurs, elle ne traite que de l’immunité des parlementaires. Ceci peut-il être justifié comme un oubli ? Le projet de réforme de la constitution tunisienne contient dans son article 2 un ajout d’un second paragraphe à l’article 41 stipulant que « le président de la république jouit d’une immunité de juridiction durant l’exercice de ses fonctions. Il en bénéficie de cette immunité à la fin de son mandat pour les faits accomplis à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. ».Ainsi, ce texte comble un vide constitutionnel flagrant au niveau de droit tunisien étant donné qu’aucun texte ne traitait de la question de l’immunité du Chef de l’État Mais fallait-il chercher le fondement de cette immunité et son étendue ?
FondementLe fondement de l’immunité du Chef de l’État a été recherché sur un double plan : fonctionnel et textuel. Le 1er principe qui a servi pour justifier l’immunité du Chef de l’État est celui de la continuité de l’État M. Jean-Eric SCHOEITL disait « Les titulaires de la charge présidentielle ne doivent pas faire l’objet de poursuites durant l’exercice de leurs fonctions afin d’éviter de porter atteinte à la continuité de l’État » [1] . En effet, il suffit de voir la place constitutionnelle qu’occupe le chef de l’État pour se rendre compte de l’importance du rôle joué par ce dernier et qui commande une suspension du principe de l’égalité des citoyens devant la loi. Ainsi, le Chef de l’État dispose de pouvoirs exceptionnels (articles 46 et 28 paragraphe 2), il exerce le pouvoir exécutif, est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et veille au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et assure la continuité de l’État. (Article 41) il est chef suprême de l’armée (article 44) etc… Guy Carcassonne précisait que la protection du Chef de l’État« …perdrait tout son sens si la décision individuelle de n’importe quel juge pouvait suffire à l’anéantir »[2] . Et le professeur Favoreu ajoutait que « la protection du Chef de l’État contre les poursuites pénales de droit commun est en conformité avec le principe de séparation de pouvoirs dont l’application commande la limitation provisoire du principe d’égalité devant la justice » [3] . Ces fondements sont applicables au cas tunisien étant donné que le Chef de l’État est l’élu de toute la nation (article 39) et il assure personnellement la gestion du pouvoir exécutif dont il est le chef à la différence du Chef de l’État français qui doit assurer le partage avec le Premier ministre. En outre, fallait-il rappeler que le Chef de l’État préside le conseil de la magistrature et nomme les magistrats ; Que ceux ci jouissent d’une immunité de juridiction. Ainsi, on peut difficilement admettre que sa responsabilité, durant le mandat présidentiel, peut être mise en cause par un magistrat nommé par lui-même. Y-a-t-il là une atteinte au principe « qui peut le plus peut le moins » ? Reconnaître au Chef de l’État la présidence du conseil de la magistrature et lui refuser un pouvoir élémentaire dont jouissent les magistrats c’est sombrer dans la contradiction. M.Manus, dans une déclaration à l’AFP en mai 1998, s’interrogeait « comment le président de la république pourrait-il être mis en cause par un magistrat sans que s’ouvre un grave conflit d’intérêt ? » [4] . D’ailleurs, ce même raisonnement s’applique à l’analyse comparative avec la situation des députés. En effet, les articles 26 et 27 de la constitution instaurent une immunité au profit des parlementaires. Que cette immunité se fonde spécialement sur leur « légitimité Populaire ». Et si on regarde de près les textes de la constitution tunisienne, et plus spécialement, les articles 62, 63 et 49 de la constitution, on peut conclure que les parlementaires contrôlent la conformité de l’action du gouvernement à la politique générale arrêté par le Chef d’État On sait que les parlementaires n’ont aucun pouvoir contre le Président de la république. En conclusion, les parlementaires sont « au service » du Chef de l’État Leur reconnaître une immunité et la lui réfuter nous ramène à la même conclusion soulevée pour les magistrats. C’est pour cette raison que certains estiment que « la protection du Chef de l’État ne peut être moindre que celle donnée aux parlementaires » [5] . En conclusion générale, nous estimons que le projet de réforme de la constitution instaure un fondement textuel clair dont les justifications sont les analyses avancées ci-dessus. Le vide n’est plus. Mais suffit-il dedire que la question de l’immunité du Chef de l’État est définitivement réglée ? Qu’elle ne soulève plus de problème en droit tunisien ? c’est ce que nous allons vérifier en cherchant son étendue. EtendueLe second paragraphe qui sera ajouté à l’article 41 stipule que « le président de la république jouit d’une immunité de juridiction durant l’exercice de ses fonctions. Il en bénéficie de cette immunité à la fin de son mandat pour les faits accomplis à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ».Ainsi, l’immunité proposée doit être analysée à un double niveau : Durant l’exercice de ses fonctions, le Chef de l’État jouit d’une immunité de juridiction absolue. Cette immunité ne souffre, apparemment, d’aucune exception, contrairement au droit français dont la haute trahison le met en échec. Une lecture de l’article 68 de la constitution laisse supposer que le Chef de l’État ne peut faire l’objet d’une telle procédure. Ainsi, quelque soit l’acte et quelque soit la date de son accomplissement, le Chef de l’État jouit d’une immunité absolue ; il faut entendre par-là , une immunité de juridiction et une immunité de procédure. C’est dans ce sens qu’on n'est pas loin de l’analyse faite par la Cour de Cassation française dans son arrêt n° 481 du 10 octobre 2001 et qui stipulait «qu'étant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat, le Président de la République ne peut, pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun ; Qu’il n'est pas davantage soumis à l'obligation de comparaître en tant que témoin prévue par l'article 101 du Code de procédure pénale, dès lors que cette obligation est assortie par l'article 109 dudit Code d'une mesure de contrainte par la force publique et qu'elle est pénalement sanctionnée. » [6] . Mais qu’on est il de cette immunité après la fin du mandat présidentiel ?La deuxième phrase du paragraphe ajouté stipule qu’ « Il (en) bénéficie de cette immunité à la fin de son mandat pour les faits accomplis à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ». Ainsi, l’immunité du Chef de l’État se prolonge au-delà du mandat présidentiel. Mais est-elle une immunité absolue ? La réponse est Non. En effet, la lecture de cette disposition met une relation très étroite entre l’immunité et la nature de l’acte. C’est seulement pour les actes accomplis à l’occasion de l’exercice de ses fonctions que cette immunité post présidentielle s’applique et non des actes accomplis « durant » l’exercice de ses fonctions. Ainsi, les actes n’entrant pas dans le cadre de ses fonctions et accomplis avant, durant ou après le mandat sont susceptibles de poursuites judiciaires. Les délais de leur prescription sont reconnus suspendus durant le mandat présidentiel. C’est ce qu’a décidé la Cour de cassation française en stipulant « qu'en vertu du principe constitutionnel de l'égalité des citoyens devant la loi, l'immunité instituée au profit du Président de la République par l'article 68 de la Constitution ne s'applique qu'aux actes qu'il a accomplis dans l'exercice de ses fonctions et que, pour le surplus, il est placé dans la même situation que tous les citoyens et relève des juridictions pénales de droit commun… les poursuites pour tous les autres actes devant les juridictions pénales de droit commun ne peuvent être exercées pendant la durée du mandat présidentiel, la prescription de l'action publique étant alors suspendue » [7] . Mais comment déterminer la nature de l’acte pour décider s’il rentre dans le cadre de l’immunité ou non ? Un Chef d’État qui gifle un ministre dans un conseil des ministres a-t-il commis un acte dans l’exercice de ses fonctions ou non? Guy Carcassonne a admis qu’il est difficile de tracer la frontière [8] . En réalité, c’est au juge saisi de se prononcer sur la nature de l’acte. La référence aux textes constitutionnels énumérant les taches du Chef de l’État sera une alternative logique pour déterminer à priori les actes relevant des actes normalement et habituellement accomplis par un Chef d’État Pour récapituler l’exposé de cette 2ème partie, nous estimons comme l’a fait M. Dominique CHAGNOLAUD, qu’il y a 3 types d’actes :
Reste deux éléments à déterminer en droit tunisien :
Mais là , c’est une autre question.
[1] - Jean-Eric SCHOEITL, La responsabilité pénale du chef de l’État, Revue de Droit Public, n°4, 1996, p.1042. [2] - Le point, 29 août 1998. [3] - Le Figaro, 16 juin 1998. [4] - Jean-Eric SCHOEITL, op.cit, p.1041 [5] - Jean-Eric SCHOEITL, op.cit, p.1041. [6] - arrêt disponible sur http://www.courdecassation.fr/agenda/arrets/arrets/01-84922arr.htm [7] - ibid [8] - Jean-Eric SCHOEITL, op.cit, p.1040. [9] - Voir la décision du conseil constitutionnel français relatif à ce traité |