Voilà les questions sur lesquelles s’est penchée Mme Souhayma Ben Achour, juriste et enseignante à l’Université de la Manouba, à l’occasion du colloque international “ L’étranger dans tous ses états ”, organisé par la Faculté de Droit et de Sciences Politiques de Tunis les 3, 4 et 5 février dernier.
Comme le souligne l’enseignante, il faut d’abord savoir que le Code de la nationalité, principale source du droit de la nationalité, distingue deux nationalités tunisiennes : celle d’origine et celle acquise. La première s’acquière par la filiation ou par la naissance en Tunisie, alors que la seconde est acquise par voie de naturalisation ou par “ le bienfait de la loi ”, c’est-à-dire automatiquement, lors d’un mariage par exemple.
Mme Ben Achour a ainsi cherché à déterminer quelle place occupe l’étranger dans ce droit tunisien de la nationalité et comment s’effectuait son intégration dans la communauté, en répondant à la question fondamentale: le droit tunisien de la nationalité est-il discriminatoire ? “ La question mérite d’être posée, car l’examen des différentes dispositions du Code laisse une impression mitigée, incertaine quant à la place de l’étranger dans le droit de la nationalité. Il s’agit d’un droit à la fois moderne et traditionaliste, en même temps égalitaire et discriminatoire. En effet, alors que certaines discriminations sont totalement absentes du Code, d’autres y sont consacrées ”, explique Mme Ben Achour.
Contrairement à certains pays arabo-musulmans, ce Code ne prend en compte ni l’élément religieux, ni l’élément linguistique.
Ainsi, il prévoit que l’étranger peut devenir tunisien, peu importe son appartenance religieuse. La religion ne constitue donc pas un facteur de discrimination entre les étrangers. Un Musulman n’est en aucun cas favorisé et il ne peut pas acquérir la nationalité tunisienne plus facilement qu’un autre. De la même manière, le Code exclut toute discrimination basée sur le critère linguistique. Hormis pour le cas spécial de la naturalisation, un arabophone n’est nullement avantagé par rapport au francophone ou à l’anglo-saxonne, par exemple.
“ L’exclusion de toute discrimination fondée sur la religion musulmane ou la langue arabe dénote d’une certaine tolérance, d’un esprit d’ouverture du législateur tunisien et d’une assez grande capacité d’intégration des étrangers au sein de la communauté nationale. Mais le caractère discriminatoire de certaines disposions du Code traduit une certaine méfiance à l’égard de l’étranger, ou du moins, à l’égard de certains étrangers ”, ajoute Mme Ben Achour.
Acquisition inégalitaire
Une première discrimination du Code s’effectue au niveau de l’accès à la nationalité, où le droit tunisien consacre une importante discrimination entre les sexes.
Dans un premier temps, l’étranger n’accède pas à la nationalité tunisienne de la même manière selon qu’il soit né d’un père tunisien ou d’une mère tunisienne. Si son père est tunisien, l’étranger obtient automatiquement la nationalité du pays. Par contre, l’étranger de mère tunisienne doit remplir certaines conditions, comme celle d’être né en Tunisie. Sinon, l’enfant ne peut acquérir sa nationalité que si ses parents en font conjointement la demande. L’acquisition de la nationalité dépend donc ici de la volonté du père étranger.
Une deuxième discrimination fondée sur le sexe s’effectue au niveau de la naissance en Tunisie. Ainsi, le Code prévoit que l’étranger dont le père et le grand-père sont nés en Tunisie peut alors devenir Tunisien. Ce droit n’est toutefois pas accordé à l’étranger dont les ascendants maternels sont nés en Tunisie.
Enfin, le Code consacre une troisième discrimination entre les sexes au niveau de l’acquisition de la nationalité tunisienne par voie de mariage. L’étrangère qui épouse un Tunisien accède ainsi plus facilement à la nationalité que l’étranger qui se marie avec une Tunisienne. L’étrangère, si elle renonce à sa nationalité d’origine, obtient la nationalité tunisienne au moment de la célébration du mariage, alors que l’étranger marié à une Tunisienne ne peut accéder à cette nationalité que par voie de naturalisation, un processus qui n’est pas aisé et qui implique plusieurs conditions, comme l’explique Mme Ben Achour : “ La naturalisation ne peut être accordée que par décret.(…) L’étranger désirant acquérir la nationalité tunisienne devra justifier d’une connaissance suffisante de la langue arabe, ce qui introduit une certaine discrimination entre les étrangers, car il sera plus facile pour un Algérien ou un Marocain que pour un Français ou un Belge de remplir une telle condition, et donc d’acquérir la nationalité tunisienne par voie de mariage ”.
Les discriminations observées dans le droit tunisien se prolongent au-delà de l’accès à la nationalité. En effet, le Tunisien naturalisé sera de plus privé pendant un temps déterminé de certains droits dont jouissent les autres nationaux.
Acquisition incomplète
Ainsi, pendant cinq ans à partir du décret de naturalisation, le Tunisien ne peut pas être investi de fonctions ou de mandats électifs. Cette incapacité affecte le naturalisé tant sur le plan politique que sur le plan professionnel. Au cours de cette période, il ne peut être ni membre de la Chambre des Députés ou d’un Conseil municipal, ni assesseur au sein de la Chambre commerciale, ni conseiller au sein du Conseil de prud’hommes.
De plus, le naturalisé, ne pouvant pas être électeur lorsque la qualité de Tunisien est nécessaire pour l’inscription sur les listes électorales, est donc privé du droit de vote. Cette disposition est rarement connue en droit comparé.
Enfin, une “ regrettable originalité du droit tunisien ” prévoit que le naturalisé ne peut pas au cours de cette période occuper un emploi vacant des cadres tunisiens.
“ Le naturalisé est donc, pendant un certain temps, un “ Tunisien de second rang ”. Ce statut inférieur poursuit “ le nouveau Tunisien au niveau de la conservation de la nationalité tunisienne ”, d’ajouter Mme Ben Achour.
Acquisition incertaine
Qu’il soit d’origine ou qu’il ait acquis la nationalité par voie de naturalisation, tout Tunisien risque de perdre sa nationalité dans certaines circonstances. Mais pour le “ nouveau Tunisien ”, à ce risque s’ajoute celui de la déchéance.
Comme l’explique Mme Ben Achour, tout Tunisien risque de perdre sa nationalité dans deux cas : lors d’une rupture avec la communauté nationale, par l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère par exemple, ou conséquemment à un manque de loyalisme envers la nation, lorsqu’un Tunisien occupe par exemple un emploi dans un service public étranger ou une armée étrangère.
Le Tunisien d’origine étrangère risque en plus, dans un délai de dix ans, la déchéance. Celle-ci ne peut frapper que le Tunisien ayant acquis la nationalité et cela dans divers cas. Cette mesure peut être prononcée lorsque les intérêts de l’Etat sont menacés. Elle peut donc paraître normale lorsqu’elle sanctionne “ l’indignité ” ou encore une trahison à l’égard de la nation
“ La déchéance peut, en revanche, paraître comme une mesure abusive dans les deux autres cas. Elle semble ainsi abusive lorsqu’elle sanctionne une condamnation à une peine d’au moins cinq ans d’emprisonnement pour un acte qualifié de crime et prononcée en Tunisie ou à l’étranger. (…) De même, la déchéance peut sembler excessive lorsqu’elle sanctionne le Tunisien qui a été condamné pour s’être soustrait aux obligations militaires”, poursuit Mme Ben Achour.
Selon l’enseignante, une refonte du Code semble nécessaire, puisque rien ne justifie que certains Tunisiens soient traités plus sévèrement que les autres. L’étranger ayant acquis la nationalité tunisienne devrait pouvoir en jouir dans les mêmes conditions que le Tunisien d’origine.