Voici un large extrait d'un article paru dans le Journal "Le Temps" du 15 décembre 2002 sous la signature de Habiba MEJRI
Du jour au lendemain, des citoyens pernicieusement spoliés d'un attribut essentiel de leur dignité, passent leur journée "au frais" dans les méandres des administrations. Ignorés, délaissés, sans autre occupation que de se ronger les ongles, les plus fragiles sombrent dans la déprime, les autres se débrouillent pour arriver à tenir. Beaucoup ne s'expliquent pas les causes de la tragédie qui les frappent.
Les raisons de la déperdition sont multiples. Elles sont toujours inavouées. Les plus pernicieuses sont celles qui relèvent du champ de la psychanalyse. Elles sont les plus imparables. On ne sait pas quand ça se déclenche mais une fois la machine en route, les dégâts peuvent être dévastateurs.
Il suffit parfois d'un rien pour attirer les foudres. Un mot mal perçu, une attitude incomprise ou tout simplement une façon d'être peuvent déclencher les hostilités.
Ca peut aussi venir d'un certain "instinct de survie", d'une catégorie de ronds-de-cuir, qui se sentant "menacés" dans leur autorité, pratiquent "la politique du vide", en se dépêchant d'éloigner ceux qui n'appartiennent pas à la race des moutons.
La liste des indésirables peut être, au gré de la qualité du chef hiérarchique, plus ou moins longue. Elle peut comprendre ceux qui sont "heureux de vivre et le montrent", ceux qui sont "confiants" en leurs atouts et le prouvent", ceux qui "tout en étant sérieux ne se prennent pas au sérieux", ceux qui "ont du caractère et de la compétence", ceux qui "sont lucides et francs".
Bref, tous ceux et celles qui "ne répondent pas aux normes personnelles et très sélectives du chef. Hasard ou pas, le phénomène frappe le plus souvent des éléments valables, sinon prometteurs et qui sont parfois réduits à venir tous les jours à leur bureau pour ne rien faire...
Le frigo ne connaît pas la solidarité.
Le phénomène reste, quelle que soit son ampleur, un problème personnel, vécu dans la solitude. En effet, sitôt marginalisé, la "victime" voit le vide se faire autour d'elle par peur de s'attirer les foudres du chef, les collègues de tous les jours se dépêchent de rompre avec "la porte qui amène le vent". Les "placardés" n'ont qu'à se morfondre sur leurs lieux de travail en regardant le temps s'égrainer lourdement. Ils n'existent plus ou presque. "Lifrigo" comme on l'appelle chez nous, n'intéresse personne. Pour aussi répandu qu'il soit, le phénomène n'a fait l'objet d'aucune étude, et ne figure dans aucun des divers programmes qui se sont attelés à la mise en valeur des ressources humaines nationales. On devrait établir les statistiques de ceux qui sont payés pour ne rien faire.
Certains en viennent en effet, vue de l'extérieur à croire que cette situation peut être avantageuses en permettant à ceux qui viennent de se la couler douce, de passer le temps à ne rien faire , sinon à bouquiner et à lire les journaux.
La détresse n'est pas uniquement d'ordre moral; elle est aussi et surtout d'ordre professionnelle. En effet, le placard arrête, dans sa logique, toute promotion professionnelle. S'il dure, il peut geler une carrière, briser des vies.